« Le vin relie le passé au présent » - Portrait de Stefana Pompa, sommelière

Issue d'une famille immergée dans l'univers de la gastronomie, Stefana a développé très tôt une sensibilité particulière aux saveurs et aux arômes. « Mon père était maître d'hôtel. Nous avons baigné dans la culture de la grande tradition gastronomique française : dresser une table, découper un poulet, servir les poissons... Et le vin, bien sûr, qui accompagne les plats à table », se souvient-elle. Elle goûte une multitude d’arômes, de textures, de saveurs et développe ainsi son palais. 

La jeune femme ne s’est pas immédiatement tournée vers le monde du vin. « Je suis partie vers la finance. J'ai fait mes études à Rome puis je suis revenue sur Ajaccio puis Bastia où j'étais chargée de patrimoine. » C'est il y a environ cinq ans que sa passion pour le vin s'est véritablement concrétisée. « J'ai commencé à m'intéresser plus sérieusement au vin, à multiplier les dégustations, à lire beaucoup de livres. Je suis entrée dans l'association des Sommeliers de Corse, d'abord en tant qu'amie puis membre active, puis j'ai passé mes diplômes. » Sa formation à l'École des Vins et Spiritueux a été déterminante dans son parcours. « J'ai obtenu l'EVS niveau 2 puis l'EVS 3 dans la foulée. Ce sont des formations extrêmement complètes et détaillées. Pour l'EVS 3 notamment, rien n'est survolé, il faut prendre le temps de tout assimiler. C'est un diplôme que je recommande souvent. »

Pour Stefana, la richesse et la diversité des terroirs corses constituent une source inépuisable d'émerveillement. « On dit de la Corse que c'est le vignoble le plus ancien du nouveau-monde, puisque notre terroir est un héritage grec. Ici, nous faisons du vin depuis 592 avant notre ère. » La configuration géologique particulière de l'île ajoute à la spécificité de la production viticole. « La Corse, c’est la jonction de deux plaques géologiques : la Corse "ancienne" (Corse du sud) qui dérivait et la Haute-Corse, en fait un morceau détaché des Alpes. » Ces mouvements tectoniques se traduisent aujourd’hui par des sous-sols bien distincts : « Pour schématiser, nous trouvons les calcaires sur Patrimonio, du schiste sur le Cap-Corse et la plaine orientale, du granit d'Ajaccio à Calvi, les calcaires du sud qui sont les plus anciens de Corse et donnent des vins très fins. » Une mosaïque de terroirs qui vaut à la Corse le surnom de “petite Bourgogne”. L’île bénéficie d’une météorologie très favorable à la culture de la vigne « Nous avons de la pluie quand il le faut, du vent quand il le faut. Il est très facile de faire du bio parce que le vent assèche naturellement les vignes. » La plupart des domaines s’orientent d’ailleurs vers une agriculture raisonnée, en bio ou en biodynamie.

La production viticole corse connaît aujourd'hui un renouveau remarquable, avec l'émergence de nouveaux domaines et la redécouverte de cépages autochtones. « Nous avons inversé la tendance : nous sommes une grande terre de vin blanc, nous en produisons à présent davantage que du rosé. » analyse Stefana Pompa. Plusieurs domaines sont emblématiques : elle cite notamment le clos Canarelli sur Figari, qui a « la particularité d'avoir des vignes pré-phylloxériques sur une parcelle sableuse. » Elle évoque également le travail remarquable du clos Culombu à Lumio, « qui dédie une parcelle au Centre de Recherche Viticole Insulaire pour remettre en collection tous les cépages insulaires. » Sans oublier le clos Canereccia qui vinifie en partie en amphore, pour des vins absolument singuliers et de grande qualité.

Situé au cœur de l'AOP Patrimonio en Haute-Corse, le domaine Novella, pour lequel Stefana est sommelière, est actuellement en pleine restructuration avec une passation entre le père et son fils. « Le terroir est magnifique ; c’est un vignoble de coteaux, sur un sol argilo-calcaire, avec toutes les expositions possibles. » résume Stefana.

Pour Stefana, le métier de sommelière va bien au-delà de la simple technique de dégustation. C'est avant tout une affaire de transmission et de partage d'émotions. Ce qui la passionne, c'est de créer des connexions à travers la dégustation : « Quand je fais déguster des vins, j'ai envie de créer des sensations. Aller chercher ce que ressent la personne ». Cette approche lui permet de créer des expériences de dégustation personnalisées. « Je m'appuie sur mon intuition et mon empathie pour cerner la personnalité et voir ce que la personne va aimer. C'est ensuite incroyable d'observer les sensations procurées, les souvenirs qui reviennent, une odeur ou une image de l'enfance. En effet, le vin est le seul alcool qui relie le passé au présent. » Être sommelière, c’est aussi être curieuse et humble dans la dégustation. « Il faut déguster tous les vins de la même façon, sans a priori. Ne pas se laisser duper par la réputation d'un vignoble, d'un vin. » Pour cette raison, la sommelière apprécie tout particulièrement les dégustations à l’aveugle, où l’on n’est nullement influencé par l’étiquette.

L'avenir de Stefana s'écrit tout naturellement dans les vignes. Avec sa nièce, elle-même sommelière-caviste, elle nourrit le projet de créer son propre domaine sur des terres familiales, entre Bonifacio et Porto-Vecchio. Si l’heure est au règlement de sujets fonciers, Stefana Pompa envisage de planter rapidement les premiers pieds, pour une première vinification d’ici 3 à 4 ans. Une nouvelle aventure qui viendra couronner un parcours déjà riche en partage et en savoir-faire.