« Nous avons le devoir de préserver ce qui nous entoure » : Rencontre avec Fanny Barthelemy
Fanny Barthelemy nous en dit plus sur son parcours riche et atypique et sur la Fresque des vins, un format d'atelier participatif qu'elle a développé. Une façon de défendre le vivant et la nature tout en mettant à l'honneur le travail des vignerons. Rencontre.
Le vin et vous ?
J'ai toujours baigné dans cet univers puisqu'une partie de ma famille vit à Suze-la-Rousse dans la vallée du Rhône, où mon oncle est coopérateur. J'ai très tôt entendu parler du vin, rencontré des vigneronnes et des vignerons, côtoyé cet univers. Je suis ingénieure chimiste et j'ai travaillé dans la finance pendant quatorze ans. En 2009, alors que je commençais à suivre des cours de dégustation, mon oncle a eu l'occasion de fairesa propre cuvée. J'ai alors mis un premier pied dans l'univers du vin, puisque j'ai organisé des séances de dégustation pour l'aider à le commercialiser. Cela m'a donné envie de me former, alors j'ai passé les niveau 2 et niveau 3 du WSET à l'École des Vins & Spiritueux. En 2015, j'ai définitivement quitté l'univers de la finance. Je préparais en parallèle le Diploma, que j'ai terminé. J'ai alors commencé à donner des formations pour les amateurs, puis j'ai passé mon certificat d'œnologie à l'université du vin de Suze-la-Rousse. Il était important pour moi d'avoir ce bagage, qui me donnait de la crédibilité. Et puis j'adore apprendre ! Petit à petit, je suis montée en compétences, ce qui m'a permis d'intervenir lors de formations professionnelles. En 2018, j'ai travaillé en tant que directrice des formations à l'École des Vins & Spiritueux, poste que j'ai occupé à mi-temps pendant deux ans.
En quoi consiste maintenant votre activité ?
Aujourd'hui, j'ai choisi l'axe très clair du développement durable. Mon activité a pour objectif de pérenniser la filière et de transformer l'activité vinicole pour faire face au réchauffement climatique : décarbonation et préservation, voire restauration de la biodiversité. C'est le cœur de mon activité, qui se décline avec des formations et du conseil auprès de professionnels de la filière. Un autre aspect de mon activité est la sensibilisation des acteurs aux sujets stratégiques liés au développement durable.
Quels sont les ponts entre la chimie et l’univers du vin ?
Ma connaissance des processus chimiques me permet de mieux comprendre les étapes naturelles de la vinification, d'être très à l'aise sur des sujets comme l'évolution de l'acidité dans le vin, ou les échanges avec l'oxygène par exemple. La chimie m'apporte une meilleure compréhension de l'élaboration du vinaujourd'hui, et l'impact de certains produits phytosanitaires notamment. Elle me permet aussi d'avoir une approche scientifique et rigoureuse sur ces sujets. En effet, il y a beaucoup de confusion et de méconnaissance.
Sur quels sujets ?
L'impact du réchauffement climatique sur le style des vins aujourd'hui. Ou la question de la gestion des degrés d'alcool par exemple. Il existe aussi des confusions sur l'impact à long terme de certains produits, entre les produits phytosanitaires, le cuivre… Il est utile d'amener un peu de connaissances là-dessus.
Comment répondre aux interrogations sur les traitements phytosanitaires ?
La réponse est nuancée : le bio a de gros avantages, mais ce type de culture utilise beaucoup le labour. Or, cela impacte fortement et négativement la biodiversité du sol. Il faut accepter d'avoir une approche globale, en fonction du sol, du terroir, du climat… Dans certaines régions par exemple, on constate une raréfaction de la ressource en eau, ressource qui devra faire l'objet d'un arbitrage. Ces régions doivent anticiper, trouver des solutions sur ce sujet qui concerne moins d'autres terroirs.
Quel regard portez-vous sur la biodynamie ?
L'étude des sols vivants montre des différences entre l'agriculture conventionnelle, le bio et la biodynamie. Les sols en biodynamie sont plus riches, mais aussi plus poreux, ce qui est une bonne chose. L'objectif est de rendre la plante plus résiliente pour moins traiter, ce qui est intéressant. Côté rendement, on constate d'abord une baisse, pour ensuite remonter. Enfin, l'étude gustative est plus complexe à organiser de manière scientifique : il faudrait des parcelles adjacentes, cultivées à l'identique sauf sur les traitements, c'est très compliqué.
À quel moment vous êtes-vous dit que le marché des vins avait quelque chose à voir avec l'écologie ?
Cette attention aux autres et à l'environnement est présente depuis toujours dans mon esprit. Avec l'expérience, je me suis rendu compte que j'avais vraiment envie d'œuvrer pour cela, donc je me suis renseignée sur le sujet plus sérieusement, sur l'aspect tant environnemental que social. J'ai voulu intégrer cette affinité personnelle dans ma vie professionnelle, et pouvoir répondre à la question : « Pourquoi je fais cela ?» Aujourd'hui, je suis capable d'y répondre : quand on dispose d'un certain nombre de connaissances, on a un rôle, voire un devoir, celui d'essayer de préserver ce qui nous entoure. C'est ce qui compte vraiment pour moi. Je me suis par ailleurs formée au Cambridge Institute for Sustainability Leadership, et suis certifiée « Cambridge Net Towards zero emission».
À quoi ressemblera la culture du vin demain ?
De nouvelles régions viticoles vont certainement émerger, les styles de vins devraient aussi évoluer (on constate déjà une augmentation du degré d'alcool). La question de la résistance face au manque d'eau sera centrale également. Réintroduire de la diversité dans les cépages pour être plus résilient pourrait être une option à considérer. Enfin, la production reste importante, face à une consommation en baisse, notamment chez les jeunes. Réussira-t-on à capter de nouveaux consommateurs ? Ce sont de vraies questions.
Les professionnels que vous côtoyez ont-ils conscience des enjeux environnementaux ?
La vigne est très impactée par le réchauffement climatique, dans toutes les régions. Donc la prise de conscience est là, effectivement. Les professionnels savent qu'il est nécessaire de modifier les pratiques. Néanmoins, la baisse de la vente des vins est un sujet prédominant pour eux. Ensuite, la réglementation est aujourd'hui plus exigeante, avec la CSRD, et le sera encore davantage demain. Je suis sollicitée par des entreprises qui doivent mettre en place une comptabilité extra-financière, et s'engager sur une trajectoire de décarbonation. C'est souvent perçu comme une contrainte au premier abord, néanmoins cela va dans le sens de l'histoire.
Bon à savoir
La directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est applicable pour les plus grosses entreprises du secteur depuis le 1erjanvier 2024. Il s'agit d'un reporting extra-financier dans lequel chaque entité doit fournir des données, mais aussi une feuille de route sur des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Vous avez créé un rendez-vous dédié à la sensibilisation : La Fresque du vin.
J'ai participé à la Fresque du climat, je suis d'ailleurs « fresqueuse » depuis quelques années, auprès d'écoles de commerce notamment. Cet atelier collaboratif est un bel outil pour que chacun soit acteur de la formation. J'ai repris le format des cartes et l'ai adapté aux problématiques du vin. Toutes les cartes de la Fresque du vin sont basées sur des connaissances scientifiques, et les sources sont systématiquement indiquées. Cette fresque est initialement dédiée aux professionnels, et l'atelier dure trois heures. L'objectif, après un rappel du cycle de vie du vin, est d'évoquer les externalités négatives, les risques de la filière, avant d'évoquer toutes les opportunités. Les participants sélectionnent un certain nombre de cartes, et les priorisent. Ensuite, des échanges ont lieu sur la façon de mettre en pratique les opportunités évoquées : c'est une étape concrète, qui doit répondre à un réel besoin.
À noter : Fanny Barthélémy développe actuellement une version 100 % « effervescente »de son atelier... À découvrir bientôt !
La Fresque du vin s'adresse uniquement aux professionnels ?
Il est important de sensibiliser également les consommateurs. C'est pourquoi j'ai réduit et adapté le format : la formation grand public est resserrée sur deux heures, et comprend une dégustation. Une attention forte est portée sur la sélection des vins. Les objectifs sont de faire prendre conscience aux consommateurs qu'ils ont un rôle à jouer et de montrer que le travail complexe qui consiste à fabriquer du vin doit être valorisé dans le prix de la bouteille.
Quels critères doivent être pris en compte dans le choix d'un vin ?
Il faut penser en premier lieu à la notion de plaisir dans la dégustation. Ensuite, il existe aujourd'hui un certain nombre de labels, mais ce n'est pas toujours simple de s'y retrouver. Je pense qu'on a assez critiqué les comportements des consommateurs ; il est plus intéressant de donner envie en mettant en avant de belles pratiques.
Quelles autres actions pourraient aider les consommateurs ?
Je soutiens l'étiquetage de la liste des ingrédients dans les vins. Si le consommateur scanne le QR code et constate que la bouteille contient 60 ingrédients, quand il pensait qu'elle contenait seulement du raisin, cela peut lui faire se poser des questions.
Quel vin pour accompagner votre plat préféré ?
Un plateau de fromages avec un bourgogne blanc, un saint-romain.
Quel vin pour écouter votre musique préférée ?
Un côte-rôtie, quelle que soit la musique :)
Si vous pouviez boire un verre avec une personnalité, même disparue ? Qui, et quel vin ?
En ce moment, j'aimerais beaucoup avoir un échange avec Michelle Obama. J'aurais plein de questions à lui poser. Je lui proposerais un pommard.
Rendez-vous le samedi 29 juin pour une formation exceptionnelle, La Fresque du vin par Fanny Barthelemy, à l'École des Vins & Spiritueux à Paris.