Les vins de Cahors indissociables du malbec
Il pourrait apparaître aisé d’aborder les vins de Cahors monochromes et vinifiés principalement à partir du malbec, peu répandu ailleurs dans le monde. Mais son histoire ne s’est pas construite au bord d’un long fleuve tranquille; elle est aussi tortueuse que les méandres du Lot.
Les vins de Cahors, élaborés uniquement en rouges, sont avant tout associés au malbec. Mais derrière ce cépage majoritaire et si identitaire de l’AOP lotoise se cachent l´auxerrois, le côt ou encore le samoireau. Même les historiens et ampélographes de tout poil en avaient perdu leur latin à telle enseigne que l’interprofession des vins de Cahors a diligenté il y a quelques années une enquête digne de Sherlock Holmes pour y voir plus clair. Et ils s’y sont mis à plusieurs pour tirer le fil de l’histoire et démêler l’écheveau de ce cépage dont on ne savait toujours pas s’il était français ou argentin, quercynois, tourangeau, bourguignon ou bordelais.
L’énigme du cépage malbec presque résolue
Comme dans de nombreuses régions, la vigne a
été diffusée dans le Quercy par les moines, comme en témoignent notamment au
VIe siècle les écrits de l’évêque Saint-Didier à Cahors. Un vin de Cahors aurait été servi au mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II en 1152 et on le retrouve au XVe sur la table de François 1er. Le roi
fait alors venir du Quercy et de toutes les provinces différents cépages dans
le but de créer un conservatoire près de Fontainebleau afin de déterminer les
meilleures variétés dignes d’un vin royal. L’une d’entre elles se distingue, le samoreau du nom de la commune
en bordure de Bourgogne où il est planté.
Les récents progrès génétiques ont démontré
que ce cépage est d’origine aquitaine, croisement de la magdeleine des Charentes et du prunelard. Il
est rebaptisé l’auxerrois mais on le trouve également en Touraine sous le nom
de côt. Mais quid du malbec? Il prend, semble-t-il, ce nom à
partir du XVIIIe quand un négociant du Quercy nommé Malbeck le diffuse dans tout le
Sud-Ouest et le Bordelais (où il s’appelle aussi
noir de Pressac) mais on n’en trouve guère de traces dans les archives.
A cette époque, le
vin de Cahors commence à s’exporter en Russie, utilisé
d’abord pour le vin de messe par l’église orthodoxe ; il se propage si bien
localement qu’il devient progressivement le vin de
fête par excellence, nommé Kagor,
translittération en russe, même si il n’a plus grand chose à voir avec le
cahors d’origine.
AOC Cahors : Ni blancs ni rosés
L’histoire du
malbec et des vins de Cahors a bien failli
s’arrêter en France avec le phylloxera quand la petite bête commence à ravager
le vignoble aquitain à partir de la fin du XIXe. C’est la coopération, en
particulier la cave de Parnac baptisée Côtes d’Olt qui, après la deuxième guerre mondiale, entreprend de sauver le vignoble cadurcien. Il est replanté entre les terrasses et le plateau surplombant
les méandres du Lot. Pour passer en 1951 en VDQS (Vins Délimités de Qualité Supérieure), catégorie aujourd’hui
disparue entre les IGP (ex-vins de pays) et les AOP, on arrache les cépages
blancs et les rouges de piètre qualité.
Vingt ans plus tard avec la baisse des
rendements, les vins de Cahors deviennent AOC dans une aire de 45 communes du Lot. Ils doivent d’ailleurs leur
promotion à ce malbec identitaire, bénéficiant d’un climat tempéré mais avec de belles amplitudes
thermiques quand il est planté en altitude et d’une arrière-saison ensoleillée
affinant la maturité. Aux côtés des 70% d’auxerrois minimum, on retrouve
désormais le merlot et le tannat.
Ce vin
dense à la robe sombre, le
black wine comme l’appelle les Anglais, est particulièrement structuré et
tannique, développant desarômes d’épices, de fruits noirs, (prunes, kirsch, mûres), de réglisse, et des notes
giboyeuses au vieillissement.
D’abord des vins de garde
Ce caractère
bien trempé va faire son succès mais aussi sa
mauvaise réputation quand il est produit à plusieurs millions de bouteilles
sous la fameuse marque Carte Noire à la fin du XXe siècle.
Cette fois, il est sauvé par une poignée de
caves particulières et de vignerons à l’aura internationale comme Alain-Dominique Perrin du Château Lagrézette qui travaille
avec le célèbre œnologue bordelais Michel Rolland. Ils redonnent ses lettres de
noblesse au cépage, le travaillent en 100% malbec
tel Le Pigeonnier encensé par Parker,
communiquent sur sa grande capacité de garde et sur les meilleurs terroirs, notamment en troisième terrasse.
L’appellation se dote alors d’un verre dédié reconnaissable à son pied à anneau et d’une vitrine en plein cœur de Cahors, la Villa Malbec.
Pour viandes rouges et confits
Aujourd’hui, les
vins de Cahors fonctionnent désormais à deux
vitesses, des vins de garde puissants et tanniques, de préférence à carafer, et des vins plus accessibles et moins
structurés, à boire plus jeune, chaque domaine
offrant souvent les deux catégories dans sa gamme.
Ils se marient plutôt avec viandes rouges, gibiers, ragoûts, cassoulets, des confits d’oie ou de canard, des plats truffés,
voire des desserts forts en chocolat.
Le vignoble est désormais détenu aux trois
quarts par des caves particulières, les Côtes d’Olt toujours la seule
coopérative lotoise étant intégrée depuis 15 ans dans l’union du Sud-Ouest
Vinovalie. L’appellation produit environ 20 millions
d’eq. 75 cl par an, toujours uniquement en rouge, les rosés et les
blancs étant revendiqués en IGP Lot ou Comté tolosan.
En attendant, pour rajeunir leur image, les vins de Cahors viennent de se doter
d’un nouveau logo en grains de raisins bleus et noirs. « Nous voulons remettre le malbec
en scène pour faire parler des vins de Cahors qui
bénéficient aujourd’hui de la dynamique des nouveaux arrivants, notamment la
jeune génération de vignerons, commente le co-président Pascal Verhaeghe. Nous
bénéficions d’une belle notoriété et l’image de nos vins a beaucoup progressé
avec la qualité auprès des cavistes, des restaurateurs et des acheteurs mais
ils sont encore perçus comme rustiques par les consommateurs, surtout les plus
de 45 ans qui ne les ont pas goûtés depuis longtemps ».
Cahors là où le Malbec est né, l’Argentine là où il s’est développé
Dans les années 2000, Cahors, pays d’origine du malbec, a surfé sur le succès rencontré par le cépage en Argentine. Apporté par un agronome français fin XIXe, il est devenu très populaire aux Etats-Unis un siècle plus tard. L’Argentine est d’ailleurs toujours le premier producteur avec les deux tiers de l’encépagement mondial (24 000 hectares, notamment dans la région de Mendoza) devant la France avec environ 6000 hectares dont plus de la moitié à Cahors. Disparu avec le phylloxera dans le Bordelais, on en replante depuis les années 2000, en particulier en côtes-de-bordeaux Bourg et Blaye.
Frédérique Hermine.