Othello, le retour en grâce du cépage maudit ?
Ils s’appellent Othello mais aussi Noah, Clinton, Jacquez, Isabelle et Herbemont. Ils sont le club des six. Six cépages hybrides americano-européens, interdits en France depuis les années 1930. Des cépages maudits et presque oubliés qui pourraient faire leur retour officiel dans les vignobles français, sous l’impulsion d’associations, militant pour leur réhabilitation dans le Catalogue officiel national.
Maure à Venise et cépage au pilori
Othello, c’est la terrible tragédie shakespearienne d’un Maure à Venise, général des armées envié et manipulé par son officier Iago. Rongé par la suspicion, il tuera son épouse Desdémone, avant de se donner la mort en apprenant le fin mot du complot... Mais l’Othello, c’est aussi ce cépage noir aujourd’hui quasi disparu, mis au pilori, en catimini, un soir de réveillon de l’année 1934. Ce 24 décembre, une loi frappait d’interdiction la vente, l’achat, le transport et la plantation en France de l’Othello, du Noah, du Jacquez, de l’Herbemont, du Clinton et de l’Isabelle.
Orgueil et préjugé
Raison invoquée à l’époque ? Une question de santé publique. Au-delà d’un goût foxé, la fermentation de ces cépages génèrerait un taux de méthanol dangereux. De quoi valoir à l’Othello et ses dangereux « amis » la réputation de vins qui rendent fou. En réalité, il s’agissait surtout de répondre à une crise de surproduction. Nés à la fin du 19ème siècle de croisements entre des souches américaines et européennes (l’Othello est ainsi une combinaison de Clinton et de Frankenthal), ces cépages hybrides particulièrement résistants, nécessitant peu de traitements, se voulaient une réponse à la sous-production d’un vignoble européen ravagé par la maladie et les parasites. Oïdium, phylloxera et autre mildiou. Une sous-production à laquelle a succédé une surproduction sans précédent, les solides hybrides américains apparaissant alors comme de gênants concurrents « mutants » aux fragiles cépages endémiques français. Et c’est ainsi qu’en 1934, Othello et autre Noah ont été déclarés hors-la-loi. Une loi qui, touchant de plein fouet une viticulture populaire destinée à une consommation personnelle, semblait relever plus du politique que de la santé publique.
L’hybride, l’avenir de la viticulture moderne ?
Malgré la loi et les incitations à l’arrachage dans les années 1950, les cépages hybrides interdits ont subsisté partout en France. En Ardèche ou dans les Cévennes, notamment, où des viticulteurs ont organisé la résistance en préservant ici quelques parcelles d’Othello, là de Noah, là encore de Clinton ou de Jacquet. Des actes de désobéissance civique qui, à l’heure de la protection de la biodiversité fruitière, de la viticulture durable et de la sauvegarde du patrimoine, trouvent un écho de plus en plus favorable. Les mentalités évoluent, les langues se délient. Aujourd’hui, des associations cévenoles telles que Mémoire de la vigne ou Fruits oubliés militent de plus en plus activement pour la réhabilitation de ces cépages capables de résister naturellement aux maladies, sans traitements phytosanitaires. Un atout non négligeable sur le plan environnemental, dans un contexte de limitation des intrants. Si les six cépages interdits en 1934 le sont toujours, le débat sur les techniques d’hybridation fait son chemin. Ainsi INRA, IFV et viticulteurs ont-ils développé près de 20 cépages hybrides résistants aux maladies fongiques de la vigne. De quoi nourrir l’espoir pour leurs ancêtres Othello, Noah, Isabelle, Clinton, Jacquet et Herbemont de voir bientôt leurs noms réintroduits au Catalogue officiel national. La balle est aujourd’hui dans le camp de la Commission européenne, dans le cadre du nouveau projet de réforme de la Pac post-2020...